C’était un vieux poil dans les oreilles, qui en avait entendu des vertes et des pas mûres, la naïveté des jeunes duvets le hérissait :
– Croyez-moi mes petits gars, c’est pas parce que vous êtes nés soyeux qu’il faut croire…
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Exercice proposé par Pascal Perrat et mis en ligne sur son blog : https://www.entre2lettres.com/exercice-inedit-decriture-creative-poil/
C’était un vieux poil dans les oreilles, qui en avait entendu des vertes et des pas mûres,
la naïveté des jeunes duvets le hérissait :
– Croyez-moi mes petits gars, c’est pas parce que vous êtes nés soyeux qu’il faut croire que vous allez finir…
Comme d’habitude, sa phrase fut étouffée par les rires moqueurs de ses congénères. Lui, c’était le vilain petit canard, René. Alors, à force, on ne tenait plus compte des nombreux avertissements de ce bougon qui n’avait fait que ronchonner toute sa vie. C’est vrai, il en avait entendu, mais surtout vécu des vertes et des pas mûres !
Il radotait constamment sur la période des grandes inondations antibiotiques, sur l’encrassage régulier des conduits par absence d’hygiène de leur propriétaire… Car pour lui qui était mysophobique, quelle calvaire ! Son rêve à lui, c’était d’être poil de visage. Au moins, on l’aurait vu ! Je dirais même, on n’aurait peut-être vu que lui ! Et puis, le visage, c’est plus propre, c’est beau. Ici, c’est cireux, jaunâtre… affreux ! Je sais bien que le cérumen a des propriétés antibactériennes et antifongiques mais vous reconnaitrez comme moi qu’il y a plus classe comme lieu de vie.
Leur maître regardait la télévision et pour changer, il se grattait encore l’oreille avec le petit doigt, ce qui agaçait au plus haut point notre René.
– Attention ! prévenait-il. Il recommence !
Heureux comme tout, les jeunes duvets se laissaient chatouiller avec plaisir. Une fois, deux fois, trois fois… Et puis…
– Bonjour. Olivier-Robert Langlois, génie poilant depuis treize ans. A votre service !
L’hologramme d’une silhouette à la drôle de forme, visible seulement par nos chers poils, était sorti du plus profond du conduit de l’oreille. Un tube, avec à l’extrémité supérieure une sorte de rondelle et un long nez pointu. Les poils se regardèrent tous les uns les autres sans savoir quoi dire. Qu’est-ce que c’était que ça ? Un otoscope ? René se souvenait d’en avoir vu un au moment des otites à répétition. Mais là n’était pas la question.
– Alors qui m’a invoqué ?
Pris de panique, les jeunes qui n’avaient aucune idée de ce qu’était un génie, ne se manifestèrent pas.
– C’est moi, lança finalement René, satisfait qu’il se passe enfin quelque chose dans sa vie de poil.
– Alors ? Que veux-tu ? Tu sais que tu as le droit à un vœu.
– Un seul ? Dans le conte, ce n’est pas trois normalement ?
– Ah ben tu sais, avec la crise, tout fout le camp. Même les vœux des génies. Alors c’est ça ou rien.
Pfff. René ne sut quoi répondre. Les jeunes reprirent.
– Ben alors, René ? Tout le monde sait très bien ce que tu veux alors qu’est-ce tu attends ?
– Oui mais… je me suis attaché à vous, moi. Qu’est-ce que je vais faire tout seul ?
On n’est pas grand-chose sans les autres finalement. C’est vrai, après qui allait-il râler s’il partait là-bas ? La peur de s’ennuyer le submergea alors, tout comme le stress. Il était courageux mais pas téméraire, notre René.
Après quelques instants de réflexion, il annonça finalement :
– OK. Ce que je souhaite le plus au monde, c’est devenir poil de visage, mais avec tous mes autres amis poils !
Le génie semblait gêné mais il céda.
– Hummm. Pas très conventionnel mais je vais m’arranger. Allez… Abracadabra, que ce que tu souhaites soit, et qu’en deux temps trois mouvements, vous vous tiriez de là !
Et c’est ainsi que nos braves poils d’oreilles dont la vie était finalement jusqu’alors si paisible changèrent de propriétaire et devinrent les premiers poils de barbe de l’adolescent de la maison.