Something stupid

Catégorie : Romance, humour, instants de vie / Temps de lecture : 8 min

Jamais je n’aurais imaginé faire quelque chose d’aussi idiot. Bon, avouons-le j’étais un peu la spécialiste. J’agissais avant de réfléchir plutôt que l’inverse. Cela avait donné lieu à quelques situations incongrues, mais peu importe. J’amusais la galerie, je me moquais de la vie comme de moi-même et j’avançais comme ça, sans me soucier du lendemain et sans regret. Le fait d’avoir eu trente ans récemment n’arrangeait pas les choses. J’avais l’impression que le temps filait à une vitesse incroyable et que je ne pourrais jamais faire tout ce que je voulais de mon existence. Mais tout c’était quoi ? Écrire un livre, courir un marathon, arriver à faire des macarons… Dans cette liste non exhaustive que je prenais plaisir à mettre à jour régulièrement (j’adore les listes !), il y avait des trucs plus faciles à réaliser que d’autres et surtout il y avait la tête de liste trônant là depuis des années : trouver l’homme de ma vie et réussir à le garder. Celle-là me donnait du fil à retordre.

Avec ma bonne humeur quasi permanente (en tout cas en apparence) j’étais devenue la fille toujours de bon conseil, prête à rendre service. Pas forcement très jolie mais pas un thon non plus, bref, la bonne copine que tout le monde apprécie. Mais moi, au fil des années, j’avais surtout l’impression d’être celle qui, sous couvert d’éternel optimisme, avait raté sa vie. Pas de maison à la campagne, pas de mari, pas d’enfant, un job hummm un job…

J’avais rencontré David à la soirée d’anniversaire de Claire. Il était pas du tout le genre de mec accessible pour moi. Il avait vingt-huit ans, il était généraliste. J’avais fini par m’asseoir sur le rebord du canapé, mon verre à la main, essayant désespérément de suivre la conversation que me tenait Laëtitia. Laëtitia, je ne sais pas qui c’est exactement, juste que c’est une pote infirmière de mon hôtesse et qu’elle ne me lâche pas la grappe depuis un quart d’heure. Alors je donne le change. On est vendredi, j’ai terminé le boulot plus tard que d’habitude et je suis rentrée chez moi pour me préparer en vitesse. Je suis exténuée par une semaine difficile, mais je dois venir. Pas pour moi, non. Mais pour elle, ma meilleure amie. Elle a trente-et-un ans aujourd’hui même et elle est sur un nuage, enceinte jusqu’au fond des yeux. Aussi resplendissante que mon existence ne me semble vide. Jusqu’à ce que je le voie.

— Liz, je te présente David. C’est mon collègue. Il me remplace jusqu’au 15 avril.

J’acquiesçai, mais ses paroles me passaient un peu à cent mille au-dessus. Je n’ai jamais aimé aller chez le médecin. Claire, ce n’était pas pareil, c’était mon amie depuis toujours. Mais j’imaginais tous les autres comme celui de mon enfance. Un vieux machin proche de la retraite qui m’avait fait tous mes vaccins, tapait sur mon genou pour contrôler le réflexe rotulien et me faisait ouvrir la bouche grand pour dire « Aaaaah ». Alors, là, devant moi, David, il ne faisait pas médecin. Ou alors chirurgien beau gosse comme dans Grey’s Anatomy. Et comme s’il faisait abstraction des autres, bizarrement, docteur Mamour (la ressemblance physique n’était pas à négliger) a commencé à s’intéresser à moi. Moi, la petite chose, toute fine aux cheveux de paille que la seule robe potable de son armoire et le maquillage léger peinaient à mettre en valeur, mais qu’un large sourire avait visiblement suffi à rendre assez aimable. Il a voulu savoir comment on s’était rencontrés avec Claire, qui je connaissais à cette soirée…

— OK, ben David, je te laisse discuter avec Miss météo et je retourne à mes autres invités, se moqua gentiment Claire.

Comme par enchantement et pour mon plus grand bonheur, Laëtitia avait disparu. Docteur Mamour prit donc sa place à côté de moi sur le canapé et me demanda, curieux.

— Pourquoi elle t’a appelé comme ça ?

Bon, visiblement il avait quand même remarqué que je n’avais pas le physique de l’emploi.

— En fait, je suis une aficionada du temps qu’il fait. Pose-moi n’importe quelle question, tu verras.

C’est en général un sujet qui passionne les foules. J’avais une licence en géographie et à la base, je voulais être prof. Je ne souvenais même plus à présent comment je m’étais retrouvé coincé dans un bureau à essayer de refourguer des forfaits de mobiles. Enfin, bref. J’étais folle des stratus, des cumulonimbus, des anticyclones et des dépressions en tout genre, ou bien folle tout court (toujours suivant l’interlocuteur). Mais vous ne me retirerez pas que, qu’on soit Einstein ou le dernier des benêts, souvent il y a un moment où on lève les yeux au ciel en se posant la sempiternelle question : qu’est-ce qui va me tomber sur la gueule aujourd’hui ? Alors quitte à pouvoir se la péter dans une discipline, autant choisir quelque chose d’utile.

Pour le fun, il m’a testé et a paru satisfait de mes réponses. Il s’y connaissait aussi. Pas plus que moi, mais assez pour que je ne puisse pas le bluffer. Sur quoi, moi, j’aurais pu l’avoir ? Aucune idée. Je l’ai écouté parler de livres et de films dont j’ignorais l’existence, des associations dans lesquelles il était impliqué, du tennis qu’il pratiquait régulièrement… Bref, le gendre idéal. Il ne manquait plus qu’il me dise qu’il avait fait de l’humanitaire et le tableau était complet. C’était parfaitement idiot, je n’avais aucune chance, mais je fondais comme neige au soleil à chaque fois qu’il ouvrait la bouche. Nous avons parlé, ri… et à la fin de la soirée, je suis rentrée chez moi, seule, comme d’habitude. Je n’étais même plus sûre de ce qui me plaisait en lui et pourtant, j’aurais voulu que cette soirée ne s’arrête jamais.

Mon chat m’attendait à la porte et est venu se frotter sur mes jambes. J’ai balancé mon sac d’un geste totalement désordonné de sorte qu’il a atterri dans un coin de l’entrée. Puis direction la salle de bains pour me démaquiller. J’avais l’impression de bouger comme un pantin désarticulé. Je me suis passé le visage sous l’eau, et quand j’ai relevé la tête, je me suis regardé dans la glace. Il fallait que je trouve une solution. Je DEVAIS le revoir. C’était celui avec qui je voulais m’endormir tous les soirs et me réveiller tous les matins. Celui qui me ferait de beaux enfants. Celui qui me ferait tout ce que les autres tocards n’avaient pas su me faire. Je trouverais bien un moyen pour l’appâter et lui donner envie de rester. Mais pour le moment je devais seulement le revoir.

Je me suis couchée sur mon lit avec Cacao à mes côtés (si ça peut vous rassurer, c’est le nom du petit singe en peluche qui me sert de doudou et pas du chat) et j’ai réfléchi. J’aurais pu appeler Claire dès le lendemain, mais ça faisait beaucoup trop « loup aux abois ».

Le meilleur plan était de tomber malade tout simplement. J’ai bien pensé simuler quelque chose, mais il fallait se rendre à l’évidence, c’était juste impossible. Je ne savais pas mentir. On était au mois de février, je n’avais encore rien chopé cet hiver, la nature finirait bien par faire les choses elle-même. Je priais néanmoins pour une belle angine plutôt qu’une vilaine gastro, pas très glamour pour une première approche. Et je révisais tout ce dont il m’avait parlé pendant le week-end. Il fallait que je sois à la hauteur pour notre prochaine rencontre.

Miraculeusement, mes vœux se sont exaucés très rapidement. Je me suis réveillée le dimanche avec ce qui semblait être un début de laryngite. Toux sèche, du mal à respirer… et ma voix qui commençait à se faire la malle. Non seulement ça me permettait de ne pas travailler, mais en plus j’allais le revoir. Et surtout, je ne pourrais pas lui dire de conneries.

Le lundi matin, j’envoyais donc un SMS à mon collègue pour l’informer que je ne viendrais pas et tant bien que mal j’essayais d’obtenir un rendez-vous. Pas avant après-demain ?! Mais enfin d’ici là, j’aurais peut-être plus rien. Qu’est-ce que j’allais lui dire ? Non, il fallait se rendre à l’évidence, c’était mort. Mais qu’est ce qui m’avait pris de m’emballer comme ça pour ce type… ? Vive l’automédication !

Par dépit, je décidai d’aller au boulot, je passerai à la pharmacie avant et trouverais bien quelque chose à faire qui ne nécessiterait pas l’utilisation de mes cordes vocales. Je cracherai mes poumons, ça me ferait une occasion de me faire plaindre. J’enfilai donc mon manteau, fit une petite caresse à Carillon (ça, c’était le nom du chat !) et verrouillai la porte. Une fois dans le couloir, mon téléphone se mit à sonner. Je regardai l’appelant : Claire. Décrocher n’aurait pas eu de sens puisque ma voix me tiraillait toujours, mais je m’inquiétais pour elle. Je lui ai envoyé un message.

Hello ma belle. Ça va ?

Réponse quasi immédiate : Perdu les eaux. Mari à l’autre bout de la ville. Tu peux venir me chercher pour m’amener à l’hôpital ?

Ma réponse : Bien sûr !! Bouge pas, j’arrive !

Non, mais quelle idiote ! Évidemment qu’elle n’allait pas bouger dans son état ! Franchement, c’était pas le moment où elle allait décider d’entamer le tour de France.

Et c’est là que j’ai fait le truc le plus stupide de ma vie. Plutôt que de garder tranquillement mon téléphone à la main le temps de descendre, j’ai voulu le ranger dans mon sac. Et d’une manière totalement inattendue, la lanière ou la ceinture de mon manteau (allez savoir !) s’est prise dans une poignée de porte. Comme je ne m’en suis pas aperçue, je me suis vautrée sur le sol. Et comme si ça ne suffisait pas, j’ai commencé à rouler dans les escaliers. C’est là que j’ai entendu craquer ma cheville.

Il me restait un étage à parcourir pour arriver jusqu’au rez-de-chaussée. Impossible dans mon état. Même immobile, ma cheville me faisait horriblement souffrir. Elle avait presque doublé de volume en quelques minutes. Je cognais la porte de mes voisins du dessous. Pas de réponse. Sans doute partis au travail. Je regardai mon portable, pas de réseau. Oh non, c’était pas croyable ! Claire m’attendait, il fallait que je trouve la force de me bouger, quitte à aggraver ma blessure. Au moins pour capter un peu de réseau et lui renvoyer un message.

Je m’accrochai à la rampe qui me tendait les bras et parvins péniblement à me mettre debout. J’avais envie de hurler, mais même ça, je ne pouvais pas. Je n’arrivais plus à faire le moindre mouvement. J’étais penchée sur la rambarde, je n’avais toujours pas de réseau. J’ai fait la seule chose qu’il m’était possible de faire à ce moment-là. J’ai pleuré. Toutes les larmes de mon corps. Il fallait que ça sorte. Et pas uniquement pour cette situation de m…. mais pour la vie en général. Je voulais souffler, laisser s’échapper tout le désespoir que j’avais en moi, maintenant et à jamais. Je ne me suis jamais sentie aussi pathétique.

Soudain, j’ai entendu un claquement et la porte qui menait au rez-de-chaussée s’est ouverte.

— Arthur ? ai-je piaillé.

C’était mon collègue. Tu parles d’un prénom. Arthur. J’ai toujours trouvé ça ridicule. David, ça a de la gueule. Mais, vous connaissez un Arthur Beckam, un Arthur Bowie ou un Arthur Guetta ? Non. Moi non plus. Je connaissais seulement un Arthur Perrin et aujourd’hui, j’étais heureuse qu’il soit là.

— Je voulais voir comment t’allais avant de partir au boulot. Quand t’as pas répondu, j’ai trouvé ça bizarre. J’ai profité que ton voisin du rez-de-chaussée sorte pour entrer.

Je l’écoutais parler. J’étais toujours accoudée à la rampe de l’escalier. Il a fini par se précipiter vers moi.

— Je pourrais peut-être te donner un coup de main. Quel abruti je fais !

Il essaya de m’attraper par dessous l’épaule pour me tenir debout et m’aider à descendre. Je sortais les mots comme je pouvais.

— Insiste pas, ça sert à rien.

À peine avais-je prononcé cette phrase qu’il me souleva du sol et me prit dans ses bras. Jamais je n’aurai cru qu’il ait eu autant de force. Et à ce moment-là, je ne sais pas s’il a vu mon maquillage qui avait coulé, bref, j’ignore ce qu’il a perçu dans mon regard, mais il m’a fixé et il a souri. On est arrivé en bas et il s’est arrêté le temps de reprendre son souffle. Bizarrement, ma voix revenait peu à peu. J’en ai profité pour lui demander :

— C’est pas que je voudrais abuser de toi, mais tu pourrais m’amener chez mon amie Claire, elle est sur le point d’accoucher, je devais la conduire à l’hôpital.

Abuser de toi ? Mais qu’est-ce que je venais de dire ? Il allait vraiment finir par me prendre pour une cinglée.

— Pas de problème, on y va tout de suite. Je comptais pas t’abandonner comme ça, de toute façon.

Merci, c’est gentil. Dans tous les cas, j’imaginais bien en effet qu’une fois dans la rue, il allait pas se barrer en me laissant me débrouiller, même si j’aurais pu appeler un taxi ou les pompiers. Il a continué à me porter puis m’a déposé délicatement dans sa voiture.

— Finalement, il fallait que tu t’exploses la cheville dans tes escaliers pour que je puisse enfin te prendre dans mes bras. Je trouve ça très ironique.

Il m’a fixé à nouveau, accroupi à côté de son véhicule, comme si lui m’avait toujours vu avec ces yeux-là et que je le réalisais seulement. J’ai presque cru qu’il allait replacer une mèche de mes cheveux, comme dans les films, avant de passer sa main sur ma joue. J’aurais adoré. Arthur, c’était le collègue sympa, l’oreille attentive à vos problèmes…. En fait, c’était moi en mec brun d’un mètre soixante-dix. On avait pris tant de cafés ensemble que j’en faisais presque de la tachycardie, il m’avait secouru tant de fois au boulot que je ne les comptais plus, je connaissais tout de la vie de son petit garçon qu’il avait avec lui un week-end sur deux et la moitié des vacances depuis son divorce, de ses hobbies, de son chien et lui tout de mon existence merdique. Comment est-ce que je n’avais pu ne m’apercevoir de rien ? Maintenant, je ne pensais plus qu’à une chose. Le remercier de sa gentillesse peut-être plus que je n’aurais dû, pour tout. Enfin dans mon état, il fallait que je garde mes idées pour plus tard.

Il est monté côté conducteur. Et ce n’est que deux ans après, enceinte de notre premier enfant, que j’ai finalement rayé le premier item de ma liste.




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