Aimer quelqu’un

Mal installée sur une chaise en bois, Eva s’impatiente. Autour d’elle, le calme est pesant. Une vieille dame feuillette un magazine. Ce qui semble être un couple accompagné de sa fille de dix ans l’observe d’un air soucieux. Elle, fait tournoyer l’anneau en or blanc autour de son annulaire gauche. Vingt ans déjà que les mariés choisissaient cette matière car il la préféraient à l’or jaune. Eva observe les stries usées et imagine à l’intérieur les inscriptions qui s’estompent.

Elle pense à son mari. A leur fils. Ses amours. A ce qu’elle leur fait subir tous les jours. Et à ce qu’elle va leur faire subir encore. Malgré elle. Souvent, elle a eu envie de partir. De disparaître. Du jour au lendemain. Dans la nature. Sans regarder derrière. Sans remord et sans regret. Ce serait tellement mieux pour eux, se disait-elle. Et puis, l’instant d’après, cette pensée s’évanouissait. 

Elle se demande pourquoi son époux ne prend pas les devants. Elle a tant l’impression de le faire souffrir. Il lui suffirait de prendre son fils sous le bras et de la planter là. Mais il reste. Fort, imperturbable. À marée basse comme à marée haute, sous les déferlantes. Elle souhaiterait parfois qu’il craque, qu’il l’abandonne, comme d’autres. Elle ne supporte plus de le rendre malheureux et en même temps, le perdre, les perdre est sa plus grande crainte. Imaginer la vie sans leur présence, pour quelque raison que ce soit, est un déchirement. Dès que cette pensée l’effleure, elle sent un tiraillement au creux de son ventre. Elle les aime d’un amour indicible. 

Quand elle les voit, elle oublie tout. Ses problèmes n’existent plus. L’amour est un rempart qui la protège. Les souvenirs aussi. La rencontre avec Stéphane. Le voyage en Australie aux mille splendeurs. Les premiers pas de Théo, les premiers coups de pédales sans les petites roues, son entrée à l’école puis au collège. Son fils veut être médecin. Quand Eva doute, elle visualise ces moments de bonheur et tant d’autres. 

Dans la salle d’attente, l’odeur caractéristique des lieux la met mal à l’aise. Cette odeur qui vous indique que vous seriez mieux ailleurs. Elle la connaît si bien mais ça lui fait mal de s’y habituer. Au milieu des autres patients, les larmes montent aux yeux d’Eva lorsque une voix vient interrompre le flot de ses pensées.

Le chirurgien prononce son nom. Elle se lève et pénètre en salle de consultation. Il l’invite à prendre place et lui détaille la procédure de son opération. Les mots glissent sur elle.
Eva a une tumeur au cœur. Une maladie au nom compliqué. Extrêmement rare. D’autant plus chez les femmes. C’est à croire qu’il le fait exprès ce corps, qu’il lui en veut. Elle se demande si elle va s’en sortir cette fois. Mais elle garde espoir. Et se dit que peut-être, quand son cœur sera réparé, elle saura les aimer correctement, ses amours.


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